vendredi 25 janvier 2008

Années Noires, Armes Blanches

Hier, visite de l'exposition : Allemagne, années noires... au musée Maillol.

Cette impression de gâchis, de hachis, de boucherie, devant les oeuvres d'Otto Dix, de Georges Grosz, et de quelques autres, devant ces hachures, ces gravures, ces bavures d'encre et d'acide. Lutte à armes inégales : le poids du plomb contre la plume libre, les pieds de plomb contre les yeux de verre, mais toujours, tac-au-tac, l'oeil qui refuse de se fermer, la main qui tire le trait lâché droit, sans trembler... L'encre s'alourdit de la poussière de la tranchée. Nul besoin de la diluer. Épaisse comme le sang répandu, elle marque, imprime, tache, le papier trouvé par miracle au fond du sac, planche impalpable de salut, mouchoir séchant les larmes, mouchard enregistrant, docile, les visions ulcérantes. Violence surhumaine, fatigue inhumaine, l'homme vous guette de son oeil acéré, de sa main devenue ferme à la plume comme elle l'est au canon, de tout son moi durci pour tout voir, de son coeur cuirassé au charnier... Ces moments arrachés à l'horreur, longuement ressassés années après années, bruissent sans cesse en eux, les peintres survivants, comme ont dû s'insinuer dans le silence de l'atelier les échos morts des explosions, les cris sans vie des agonies... Manu militari, en pleine paix, Dix a prolongé, dans une série de gravures affollantes, sa guerre à la guerre, sa guerre au mensonge, en plongeant, héroïque, au fond de ses cauchemars, en vivant éveillé, refusant toute anesthésésie. Il a mené, presque seul, une guerre de Cent Ans dont il est bien vainqueur, plus que jamais vivant quand le dernier poilu est prêt d'être enterré... avec les honneurs, il est vrai !
Étourdie par ce vacarme muet, par ces effluves de violence, par ce combat des armes noires et blanches, à quelques rues de là, je rencontre le rescapé d'une guerre sans histoire, robotisé, bousillé, revenant d'une nuit que nul n'aura saisie d'un crayon héroïque, dont nul ne nous dit rien... Ce survivant à la frontière, c'est mon frère.
Années blanches, années noires. Sang noir, voix blanche.

Aucun commentaire: