vendredi 26 octobre 2007

Paternité

L'homme s'est senti seul en voyant les deux corps séparés de si peu, corps de la femme aimée, et corps du petit homme venu de lui. Jamais il ne pourra faire autant. Jamais l'amour ne fera séjour au ventre pendant des jours et des semaines. Cet enfant s'est niché dans le profond repos que l'on n'atteindra plus. La femme s'est déchirée, scindée, et ce n'est pas pour lui.
Le petit va grandir en quêtant le regard de son père, cherchant sa vérité dans sa sévérité, cherchant à l'imiter, à mériter son amitié. Le père s'inquiète de cette quête qui le repousse vers le passé. Peur de périr, visage vieux, et de céder, de décéder, de ne plus décider...
Le père a peur de perdre
La face
Et la place.
La barricade,
La pauvre palissade,
Se dresse entre eux.
Étanche écran du temps
Perdu.
Le père dut se défendre au plus profond des certitudes.
Le fils dut s'affirmer par l'insolence des attitudes.
La ressemblance est à couteaux tirés,
Et la reconnaissance est à rideaux fermés.
Pas de passage,
Point de pas sages
De l'un à l'autre.
L'infini face-à-face et ça casse,
Débris sans bruit,
Maux à maux épelés
En tant d'années,
Temps d'années comptées,
Condamnées.
Damnés cons !

lundi 15 octobre 2007

Frou-frou de fleurs

Frêle et fraîche impudeur
Des fleurs
Ouvertes découvertes
Offertes
À nos regards
À nos hasards

Frissonnées chiffonnantes
Froissées ou foisonnantes
Frôlées
Défraîchies et sans fard
Au hasard
Des caresses qui fouettent

Et loin de se cacher
Si faiblement penchées
Dépuillent leurs pétales
Fripés
Avec cette impudeur
Sous nos regards

Dépérissent et se meurent
Les fleurs

Mot d'adieu

A Gudrun

Elle venait à peine de quitter un lieu qu'elle aimait pour une nouvelle vie qu'elle redoutait. Déplacement accepté, admis, tout juste. Subi, un peu.
Quelques jours de cette vie nouvelle, et le passé l'appelle, cruel : décès subit de la mère vieille, mais... c'est comme ça... on ne s'y attend pas... il n'y a pas eu d'adieu...
Rangement des affaires, tri douloureux des vieilles choses, souvenirs souterrains mis au jour...
Flux.
Des papiers entassés se détache un mot d'adieu inattendu, qui en dit plus que tout : une coupure de journal, soigneusement découpée, soulignée et collée, comme par un écolier. C'est l'annonce d'un reportage télévisé sur la ville où sa fille s'installe au moment-même où la mère se sent si lasse et faible... Une image de ce Sud-Ouest de la France, si lointain qu'elle ne le verra jamais. Mais où elle l'a suivie, pourtant. La preuve...

dimanche 14 octobre 2007

Maternité nous crée


Laure Ketfa me demande de présenter ses toiles tissées dans l'expérience, banale et toujours unique, de la maternité. Elles sont nourries de cette vie nouvelle qui s'est incorporée à la sienne, et l'a décuplée. Avec le bébé qui croît en elle, puis hors d'elle, sa vie se développe dans un nouveau temps et un nouvel espace, l'appelant vers l'inconnu, vers l'origine et ses mystères, vers l'avenir et ses questions. À ces interrogations immenses, Laure ose répondre à sa façon bien à elle, force et fragilité mêlées, matériaux collectés et collés, dessin maîtrisé, couleurs libérées, peinture intense qui nous invite à la poésie. On ne refuse pas une telle invitation !


Tête penchée sur les pensées poussées

Sur les pensées passées, l'oeil est passé

De l'une à l'autre. La mère s'efface

Et prend sa place l'enfant fouillant.

L'enfant fait face.

Fracas du temps fondu...


Dessine-moi, disait-elle sans trêve,

Dessine-moi l'oiseau si haut

L'oiseau des airs

Et chante-moi l'air des oiseaux.

Silence...

Où sont les mots ?

Les mots moutons

En troupeaux piétinent ma planète...

Dessine-moi plutôt

Le mouton que voilà

Son blanc silence

Et sa présence.


Destine-moi !


Voilà les mots en moi appelés par la douceur de ces tableaux aux couleurs fortes. Un arrachement vers le bonheur.

jeudi 11 octobre 2007

Nid vide

Ce coin devient un carrefour le jour où curieusement se croisent des vies.
Promenées, chahutées, les vies bringuebalées, existences en instance, évidences cassées Le vide se vit se voit vite dit se dévide le fil blanc fils et filles fragiles décousus de nous venus d'où
Le nid laissé berceau bercail
Le nid laissé vide là-bas dans la maison debout vide
Filetée d'araignées longues à défiler dévidant leurs pelotes idiotes sans se lasser du cliquetis sans bruit de leurs aiguilles lisses
Le nid vide en ses pierres posées loin
Attend
Entend
Les bruits oubliés
Les sons susurrés
Nous en allés

L'inouï de l'oubli

mardi 9 octobre 2007

Maternité

Mot plein comme l'état qu'il désigne, maternité nous fait entrer
Nous fait ancrer
Encrer
Créant
Le nouveau-né créant
En nous
Criant
En nous
Riant
De nous
Poussant
Pour nous
Vivant, ô vivant !
Croissant
Vers nous
Croyant
En nous
Confiant
En tous
Buvant, ô buvant !
Tout aimant
Ou dormant
Ou hurlant
Étonnant
Et
Serrant, ô serrant !

Maternité nous crée

Réveil matin

Ce matin, mes yeux ne s'ouvrent pas d'un clic. Le temps de l'ouverture, le temps pendant lequel se détachent les images de rêves qui se collent aux paupières et se fragmentent lentement, ce temps dure et s'étire en mots logés dans mes oreilles. Ouverture, comme à l'opéra ! Pour moi, une ouverture que je me joue au réveil, et qui contient les thèmes de la journée, ou des journées enchaînées. Ces mots sont étrangement prétentieux, c'est vrai, mais forts aussi, pour me dire : "La vie est le chemin vers Dieu", c'est ça, oui, c'est l'ouverture jouée sous la couverture. Curieux, non, ce viatique matinal venu d'on ne sait où ? Il a dissipé le souvenir du doux rêve qui l'a produit... Et tout-à-coup, tout me paraît très simple, il n'y a pas de questions à poser, à se poser, tout est résumé. Il n'y a qu'à suivre la via Sua, la vita suae, la tracer, l'accepter, la jouer...
A croire que ce matin, Dieu opéra !

lundi 8 octobre 2007

Pire en doutant

Pire de douter quand tout nous dit de
Pire de penser en doutant que
Dire que penser c'est somme toute
Pire que danser

Dire que pousser c'est tout comme
Penser sans s'en douter
Assoupi dans un somme
Sans même songer

Pire en doutant c'est de
Taire en passant les mots poussés
Passés tout en pensant tout en dansant
Les mots tassés sans s'en douter

Mise en pièces

Je pensais au mot pièce, me demandant si le fait de les mettre en pièces dépréciait le tissu de fibres, le tissu de mots, la masse monétaire, la force d'artillerie, ou si au contraire ce détachement du tout ne constituait pas leur acte de naissance.
Du lourd rouleau de tissu chamarré, le morceau arraché, la pièce, peut prendre liberté de tourner à la veste, à la jupe, au corsage, de prendre corps en un mot, et forme... Le tranchant des ciseaux, le piquant des aiguilles, le chatouillement du fil et la brûlure du fer tranchent et piquent, chatouillent et brûlent la trame qui prend vie sous ces coups, pour draper et couvrir, réchauffer, adoucir.... habiller !
Quand l'auteur s'autorise à tailler de sa plume dans l'infini ramage des conversations, des discussions, des affirmations, des dénégations, des contradictions, il trace un cadre de silence tout autour des répliques et tranche à vif dans le travail des bouches. De quel droit arrache-t-il les propos tenus, les ragots répandus, les sentiments déçus, à la trame des paroles enchaînées sur le métier des langues ? Les agencer comme les pièces d'un puzzle, les mettre en jeu, les mettre en joue, les mettre en pièces, dérision ? Décision plutôt, de les conduire ailleurs, hors d'atteinte du temps, choisies, belles, épousées. Tant pis pour leurs défauts !
Et dans la masse d'argent, qui taille et tranche pour mettre en pièces la monnaie qui nous plombe de son impondérable poids ? Qui nous pourvoie de ces petites pièces tintantes et brillantes, comme des jouets qu'on lance et roule, de ces soyeux papiers que l'on peut chiffonner comme si on s'en fichait ? Et ces cartes magiques ouvrant les coffre-forts ? Mise en pièces, la masse de la richesse nous appartient par bribes et par breloques, par bricoles et broutilles... Elles brillent !
Sur le front, prêtes à dépecer l'adversaire, pointent les pièces d'artillerie. Qui donc entaille et détaille la force de frappe, le front de feu, la ligne lisse ciselée de canons inégaux, spécialisés dans tel ou tel tir ? Ces failles, ces faiblesses, ces fissures font face .
Celui qui met en pièces nous tient à sa portée !

vendredi 5 octobre 2007

Beau sujet pour Sophocle

Ils ont atteint la cinquantaine, mes frères... et ce cap dépassé, l'un sombra. Ce n'était pourtant pas le navigateur, le pirate, plutôt le bureaucrate, l'homme à cravate. L'un voulait défendre la terre, l'autre la France. Des ambitions peu communes, en quelque sorte, et qui souvent divergent. Longtemps frères ennemis, ils se livraient des duels, non pas sous les remparts de Thèbes comme les frères d'Antigone, mais sur les antennes de télévision, dans les colonnes de journaux. Entre eux deux, un grand silence, un no-man-land, quelque chose de tu comme une douleur, quelque chose de su comme un malheur. Entre eux deux, les absences : un bébé étouffé, une maman explosée. Il faut apprendre à se défendre et à défendre ce qui est fragile, et ce qui ne devrait pas l'être. Moi, tard venue, défends les lettres et les couleurs anti-douleurs. Trois enfants d'avocats, trois défenseurs, mais agressifs. À la pointe, c'est l'aîné, qui tire et pointe haut, et nous met la barre haut, très haut. Il est en guerre, il lui faut trouver et prouver sa vérité, s'épuiser. Et c'est l'attaque. Son adversaire le terrasse, et c'est lui-même, qui se rebelle d'être si mal traité... Lui, notre explicateur, lui le grand discoureur, le voilà sans le secours des mots, accablé sous les maux. Le voilà sans défense. L'enfant reparaît, le petit étouffé. Comment l'aider ?

Jouer à casse-casse

Un tour de passe-passe, ce jeu de casse-casse ! C'était sur un sentier d'été, là, dans les Pyrénées, un sentier arpenté tant de fois que l'on n'y prend plus garde, aux trous bien ravinés ravivant les foulures refoulées, aux cailloux-choux-hiboux qui vous prennent aux genoux, et clac, et crac, vous tournent et vous retournent... "Tire la bobinette et la chevillette cherra", dit-on au chaperon. La voilà chue, ma cheville, la voilà sue, ma blessure ! qu'il est dur de se traîner le pied dressé, au pied levé, et que ça dure, et que ça dure... L'été passé, le pied cassé, quel pied de nez ! les barreaux ne se voient pas, dans cette cage. Ce sont les mots, dans toutes ces pages, qui les effacent. D'un bond, l'esprit vagabond, au long de ces jours longs, embarque et divague à son gré, tandis que le corps empêtré dans son plâtre s'ankylose doucement. Jeu de casse-casse et de passe-passe. Si souvent l'esprit s'englue dans le corps qui remue. Voilà, pour une patte cassée, les rôles inversés !